Interview parue dans le blog d’Emilie Compignie
RSE, ESG, double matérialité, les entreprises n’échappent aux réflexions sur les impacts sociaux, environnementaux, à la bonne gouvernance ou encore à l’atteinte des Objectifs de Développement Durable des Nations Unies. Si le chemin vers un business model respectueux de tous et de tout reste encore long, il devient de plus en plus difficile de refuser de s’engager pour de bonnes causes. Et les organisations à but non lucratifs servent souvent de relais pour matérialiser ces aspirations. Mais comment s’engager auprès des entreprises, collecter des fonds et surtout créer des partenariats riches et pérennes?
J’ai posé ces questions à Bérangère Leroy, Fondatrice de Partenariats Durables en France, qui bénéficie d’une longue expérience dans le secteur privé et a décidé de mettre ses connaissances et compétences à profit des organisations à but non lucratif.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours ?
Après 10 années en tant que Responsable sécurité environnement au sein de PME industrielles, j’ai évolué vers le secteur du conseil aux entreprises. J’y ai exercé diverses missions : consultante développement durable, manager d’une équipe de consultants, pilote de clubs et réseaux d’entreprises ou encore recherche de sponsors et de partenaires.
Investie par ailleurs en tant que bénévole de compétences auprès d’associations d’insertion, j’ai souhaité donner plus de sens à mon parcours en intégrant le secteur non-profit. Pour cela j’ai obtenu le Certificat Français de Fundraising (stratégie de collecte de fonds et mécénat) et suis régulièrement investie lors des événements organisés par l’Association Française de Fundraising.
Aujourd’hui, j’interconnecte des réseaux de dirigeants et j’accompagne des associations dans la structuration de leur recherche de fonds, en particulier de mécénat financier.
Ce qui me fait vibrer aujourd’hui ? Permettre à des associations de collecter plus de fonds, donc de concrétiser plus de projets et donc de créer encore plus d’impact !
Collecter des fonds auprès d’entreprises nécessite une approche très différente de la collecte de fonds institutionnelle, auprès des fondations ou bailleurs publics par exemple. Quelles sont, selon vous, les différences majeures ?
La 1ère selon moi réside dans la méthode.
En effet, collecter des fonds auprès d’entreprises nécessite de bâtir une relation humaine de qualité en amont de la sollicitation, alors que vis-à-vis des fonds institutionnels, la qualité du dossier en réponse à l’appel à projet sera cruciale.
La sollicitation s’apparente à une approche relationnelle aiguisée et centrée sur l’entreprise :
- Obtention d’un rendez-vous par l’intermédiaire d’un connecteur
- 1er rendez-vous : découverte de l’entreprise
- 2nd rendez-vous : discours de cause et formulation de la sollicitation financière
- A noter que chaque rendez-vous impose une préparation et un entrainement dédié
La 2nde différence réside dans l’importance de rechercher des informations très détaillées sur les entreprises cibles avant de les approcher.
Le scoring LIC prend ici tout son sens. L pour « Lien de proximité », I pour « Intérêt ou sensibilité à la cause » et C pour « Capacité à donner ».
Cette cotation permet d’une part d’exclure des entreprise de la liste des cibles (par exemple, des entreprises ayant un EBE faible, donc pas suffisamment en bonne santé financière) et d’autre part de prioriser les entreprises à contacter.
La 3ème différence est que collecter des fonds auprès d’entreprises est avant tout une question de posture et d’état d’esprit.
En effet, l’association doit pouvoir s’adapter à la culture de l’entreprise ciblée. Et c’est là que les informations recueillies en amont l’aideront grandement.
Chaque entreprise a sa propre culture et son mode de fonctionnement. Certaines ont d’ailleurs des critères bien précis pour sélectionner les projets. Néanmoins, au-delà des outils existants, c’est principalement dans la connexion, dans la relation intuitu personae, dans l’alignement des valeurs de l’entreprise avec celles de l’association et dans l’envie mutuelle de construire un partenariat que cela se joue.
Le processus peut parfois être long avant de contractualiser, d’où l’importance de construire une relation de qualité.
Quelles questions une organisation à but non lucratif doit-elle se poser avant de se lancer dans un partenariat financier avec une entreprise ?
J’identifie 3 questions essentielles auxquelles l’association doit chercher à répondre :
- 2 questions pendant la phase de préparation, c’est-à-dire lors de la construction de sa stratégie mécénat
- et 1 pendant la phase d’approche directe de l’entreprise.
Quoiqu’il en soit, avant de solliciter une entreprise, l’association doit prendre le temps de :
- Clarifier son projet associatif : Mission / Vision / Valeur / Ambition
- S’analyser : forces et faiblesses et connaître sa concurrence (cause et périmètre géographique)
- Construire sa base projets
- Etablir ses objectifs et son plan de collecte
- Construire sa plateforme de discours : discours de cause, pitch, docs projets, les contreparties…
- Identifier et qualifier ses cibles entreprises
Au cours de cette phase, l’association doit pouvoir répondre à 2 questions essentielles :
- 1ère question : « Quel est l’impact de mon action ? »
Les entreprises seront attentives à cette notion. L’association peut aussi bien mettre en avant l’impact direct (chiffres, témoignages de bénéficiaires…) que l’impact indirect, ou encore présenter l’écosystème qu’elle a mis en place et les collaborations qui en découlent.
- 2ème question : « Mon modèle économique est-il suffisamment clair et lisible ? »
Il s’agit là de présenter les postes principaux de dépenses, les sources de financement, la cohérence des frais de gestion et la manière dont sont gérés les dons au sein de l’association. Pouvoir présenter l’impact de 1 € investi par une entreprise dans l’association est également un plus.
Et une fois que les 1ers contacts ont été pris avec l’entreprise et que les rendez-vous ont permis une véritable connexion, l’association doit pouvoir répondre à une nouvelle question :
- 3ème question : « En quoi le projet de mon association a un lien avec la démarche RSE de l’entreprise cible ? » Pour cela, une seule solution : questionner l’entreprise sur la démarche RSE enclenchée et ses perspectives !
La RSE est un levier important sur lequel peut s’appuyer une association pour contractualiser un partenariat entreprise.
A savoir que la RSE est une composante vitale pour les entreprises. Et ce, à plusieurs titres :
- Pour sa réputation : l’entreprise ne peut plus se contenter d’intentions, elle doit agir concrètement afin de réduire son empreinte environnementale et d’avoir un impact positif sur la société.
- Pour ses clients : certains deviennent de plus en plus sensibles à la RSE et l’intègrent comme critère de choix dans leurs processus d’achat.
- Pour ses salariés : une stratégie RSE volontariste est aujourd’hui indispensable pour attirer et fidéliser les talents.
- Pour favoriser son ancrage territorial et ainsi pouvoir se connecter avec la société au sens large : acteurs économiques et sociaux variés.
En ayant connaissance des actions RSE déjà réalisées, présenter un projet, un programme à une entreprise, c’est finalement lui offrir la possibilité de compléter sa démarche RSE !
Quelles pourraient être les principales barrières rencontrées par une organisation à but non lucratif pour développer un partenariat entreprise ? Comment les surmonter ?
Je n’identifie pas de barrière à proprement parler, néanmoins deux 2 points de vigilance sont à prendre en compte:
- Le 1er selon moi est d’être aidé sans y perdre son âme. Pour cela, je recommande vivement à l’association d’établir une charte éthique, ainsi pratiques des entreprises et valeurs de l’association seront bien en adéquation.
- Le 2nd point est d’accepter l’idée que, pour arriver à la signature d’une convention de mécénat avec une entreprise, c’est long, très long !
Cela peut prendre des mois, voire une année. Malgré tout, c’est 1 année pendant laquelle une relation durable avec l’entreprise aura eu le temps de se développer. Parfois, c’est juste parce que les circuits de décisions sont complexes, ou parfois c’est parce que les entreprises ont besoin d’être rassurées sur la qualité de la relation qui découlera d’un potentiel accord.
Il existe une multitude de partenariats entreprise différents, auriez-vous quelques exemples concrets ?
Oui, tout à fait. Du point de vue philanthropique, trois types de partenariats existent :
- Le mécénat financier : l’entreprise apporte un soutien financier direct.
- Le mécénat en nature : l’entreprise offre un bien, des marchandises (denrées alimentaires par exemple) ou met à disposition du matériel ou des locaux à titre gracieux.
- Le mécénat de compétences : l’entreprise met à disposition ses salariés (donc sur leur temps de travail) ou offre une prestation de service.
Enfin, quels seraient vos 3 conseils pour développer une stratégie entreprise ?
Mes 3 conseils pour développer une stratégie mécénat : Structurer, S’entrainer et Impliquer !
- Structurer : parce qu’établir un plan stratégique permet à la fois de se poser les bonnes questions et de se doter d’outils adaptés pour agir avec méthode et professionnalisme.
Afin de bien connaître les règles et les codes d’une telle démarche, de bien structurer en amont sa réflexion pour définir sa stratégie et de gagner du temps, je recommande à l’association de se faire accompagner. Elle pourra ainsi bénéficier d’un cadre méthodologique et d’outils pertinents : méthode de scoring LIC, conventions type, guide d’élaboration d’une charte éthique, trame de discours de cause, grille de remerciements…
- S’entrainer : parce que le mécénat c’est avant tout du relationnel et donc une question de posture pour pouvoir établir une véritable connexion avec ses interlocuteurs.
La qualité de la relation humaine est ici au cœur du sujet. Pour être parfaitement à l’aise dans l’écoute, le questionnement, le discours de cause, la sollicitation… il faut s’entraîner et s’entraîner encore pour être capable de privilégier la relation à la transaction.
- Impliquer les entreprises mécènes dans ses projets, ses programmes : parce que les entreprises souhaitent, la plus part du temps, être considérées comme de véritables partenaires et non comme de simples financeurs.
Interview parue le 16 décembre 2022 sur le blog d’Emilie Compignie